Dans l’Orne, un agriculteur bio et un designer parisien se sont associés pour développer une idée originale. Produire une paille en paille, réutilisable et compostable. L’objectif : répondre à l’interdiction des pailles en plastique en 2021.
Ces deux là, viennent d’horizons bien différents. D’un côté, Jeff Lubrano, un designer et artiste parisien partageant sa vie entre le Perche et la capitale. L’homme est un pro de la communication. Il a notamment été directeur de la com de Véolia en Suisse, d’EDF en Allemagne et du groupe Skyrock.
De l’autre côté, Mike Sallard. Un agriculteur bio de 26 ans qui exploite la ferme familiale, convertie par son père il y a 30 ans, l’un des pionniers du bio. L’exploitation installée à Courgeoût dans l’Orne est exemplaire. Panneaux solaires sur les toits des hangars, 90 hectares de terre en polyculture élevage avec de belles Salers dans les prés.
Une idée toute simple
Rien ne prédisposait ces deux hommes à se rencontrer, sinon leur désir de faire quelque chose pour l’environnement. L’idée est née d’abord dans la tête de Jeff Lubrano :Il se rapproche alors de Mike Sallard qui trouve l’idée géniale et commence à chercher quelle céréale conviendrait le mieux : « On a choisi le seigle car c’est une plante robuste, dont la tige est assez longue et avec un bon diamètre. En bio, le seigle c’est un désherbant naturel qui permet de nettoyer les champs ».« J’ai deux chevaux à la maison et en leur donnant de la paille, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire »
Jeff et Mike n’ont cependant rien inventé, car comme son nom l’indique, la paille était à l’origine en paille !
« Les anciens, lors des moissons, se servaient de la paille pour siroter une limonade, indique Jeff Lubrano. On a remis cette pratique au goût du jour. » L’idée du nom de leur marque s’est imposée à eux : « La Perche »…fabriquée dans le Perche.
Economie circulaire
Le concept de « La Perche » est simple. Le seigle cultivé par Mike Sallard produit de la farine, les tiges sont fauchées et habituellement servent de litière aux animaux. A présent, les 40 premiers centimètres de la plante permettront de créer les pailles, comme l’explique Mike :
« On part d’un déchet de moisson que l’on valorise pour en faire une paille. L’idée c’est de créer une nouvelle filière pour l’agriculture biologique, en circuit court. On peut développer ce procédé dans d’autres régions de France ».
Les deux hommes ne s’arrêtent pas là. Le reste des chutes pourrait aussi être broyé et transformé en matériaux de construction pour faire des meubles ou de l’isolation.
« Nous travaillons aussi avec l’institut polytechnique UniLaSalle à Rouen pour développer un emballage issu de ces résidus »
Enfin, la paille en paille est réutilisable, lavable au lave-vaisselle et surtout biodégradable – « entre 25 et 30 semaines » - elle peut être jetée dans le composteur.
Les jeunes de L’IME du Perche vont être associés à ce projet. Ils développeront ainsi des compétences professionnelles et, à terme, pourront être embauchés.
La paille en plastique, un fléau pour l’environnement
Les deux hommes se retrouvaient aussi dans le combat contre le plastique à usage unique. Ils avaient été choqués par la vidéo d’une biologiste américaine enlevant une paille en plastique du nez d’une tortue marine (35 millions de vues)
« C’est dangereux pour les animaux et pour la planète, martèle Jeff Lubrano. La paille à usage unique, c’est 5 minutes d’utilisation. Elle met entre 150 et 180 ans à se dégrader. Et en plus, ça se photodégrade, c’est-à-dire que ça devient du microplastique. »
Rien qu’en France, on consomme 9 millions de pailles par jour, 3.2 milliards par an.
Bien conscient de ces enjeux pour l’environnement, le parlement européen de Strasbourg a voté le 27 mars dernier la fin du plastique à usage unique. Les couverts, les gobelets, les cotons-tiges, les pailles…seront désormais interdits au 1er janvier 2021.
La ruée vers la paille
Cette idée a forcément de quoi séduire les entreprises et les industriels. « Tout le monde s’intéresse à nous. Des distributeurs, des hôtels-restaurants, de grands groupes de l’agroalimentaire ».
Dans le Perche cinq restaurateurs se sont regroupés pour précommander 5000 pailles. Un geste pour l’environnement et pour soutenir ce projet local comme l’explique Patricia Valette propriétaire avec son mari du « Montligeon » :
Les champs sont à seulement 5 km à vol d’oiseau. Utilisons ce qui est naturel au maximum. Tout est là, à portée de main. Arrêtons de produire du plastique !
Le président de la Normandie Hervé Morin s’est enthousiasmé pour cette idée. Il y a même eu quelques touches au plus haut sommet de l’Etat.
Le comité des Jeux olympiques a aussi été contacté en vue des JO de 2024 à Paris. La Perche va également à la rentrée fournir des pailles aux cantines scolaires d’Alençon.
Mais l’idée, c’est de rester local en produisant pour commencer, 6 millions de pailles cette année. Avec une montée en charge importante : 50 millions en 2020, 150 millions en 2021.
Le reportage de Nicolas Corbard et Marie Saint-Jours :
Intervenants : Mike Sallard, agriculteur bio à Courgeoût, cofondateur de "La Perche" / Jeff Lubrano, designer et cofondateur de "La Perche" / Patricia Valette, restauratrice à la Chapelle-Montligeon